Rome et Londres : deux visions du patrimoine

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De Paris à Milan, en passant par Berlin, Lyon, Barcelone ou encore Düsseldorf, Covivio est présent depuis 20 ans au cœur des principales métropoles européennes. Quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs points communs ? A quels enjeux devront-elles faire face dans les prochaines années ? Quelles sont leurs trajectoires urbaines ? Nous vous proposons, à travers une série de portraits croisés urbains, de partir à la découverte de ces villes dont Covivio et l’Europe constituent les dénominateurs communs.

À plusieurs siècles d’écart, les deux capitales européennes ont pour point commun d’avoir eu une influence majeure sur le monde et d’en porter encore les traces dans leur tissu urbain. Pourtant animées par deux philosophies différentes, elles ont toutes les deux structuré depuis longtemps leur stratégie de conservation du patrimoine architectural. Excursions dans les ruelles de ces deux villes historiques.

Deux héritages monumentaux

Se promener à Rome est un voyage dans le temps. La ville est habitée des glorieux vestiges de l’époque romaine : le Colisée, le Capitole, les temples et thermes, … mais aussi de la Renaissance et de l’époque baroque, avec, par exemple, la célèbre fontaine de Trevi. Des siècles de constructions successives et emblématiques en ont fait la Ville éternelle, parfois taxée de muséification. Depuis 1980, elle dispose de l’une des plus grandes surfaces classées au patrimoine mondial de l’UNESCO dans le monde, 1500 hectares. La densité de ses monuments remarquables est exceptionnelle et une grande responsabilité incombe aux autorités pour les protéger et les valoriser.

La municipalité, faisant face à d’importantes difficultés financières, a dû faire appel, dans les années 2010, à des financements privés. La marque Fendi a largement contribué à la restauration de la fontaine de Trevi, à hauteur de 2,2 millions d’euros, et en a fait pour l’occasion le décor d’un de ses défilés en 2015. Le groupe Tod’s, l’année suivante, participait à restaurer le Colisée, à hauteur de 25 millions d’euros.

Londres, de son côté, véhicule une image de métropole mondiale ultra dynamique. La modernité semble côtoyer en permanence les monuments historiques et les gratte-ciel de la City rivalisent avec les bâtiments emblématiques de l’histoire londonienne. L’héritage de la capitale britannique est plus récent, même si quelques vestiges des fortifications romaines sont encore visibles et que le Globe Theater de l’époque élisabéthaine accueille encore du public, la ville est plutôt habitée de souvenirs de l’époque victorienne : Tower Bridge, les grandes gares de St Pancras ou King’s Cross et les grands musées comme le Victoria and Albert museum ou le Natural History Museum.

À Londres, des tensions autour de la skyline

À Londres, comme à Rome, la préservation du patrimoine est ancienne et très structurée. Au Royaume-Uni, elle repose sur l’English Heritage et Historic England. Certains bâtiments sont classés et protégés par la loi dite listed buildings. Cependant, le pays adopte une conception plutôt flexible de la préservation du patrimoine. « Au Royaume-Uni, l’intérêt économique prime toujours sur la protection du patrimoine », explique Federica Appendino, enseignante-chercheuse à l’ESPI Paris et aux laboratoires ESPI2R et Lab’URBA. « La ville de Liverpool par exemple a préféré perdre son label UNESCO pour transformer ses quais de l’époque victorienne », illustre-t-elle. Après avoir classé ses docks en 2004 au patrimoine mondial, l’institution s’était alarmée de nombreux projets de réaménagement, notamment la construction d’un stade de football et de très hauts immeubles. L’Unesco avait alors placé le site sur la liste du patrimoine mondial en péril, avant de lui retirer son statut, en 2021.

Le chercheur Manuel Appert a beaucoup travaillé sur la skyline londonienne et sur la manière dont la Greater London Authority a adapté sa réglementation pour pouvoir répondre aux nombreux projets de gratte-ciel, qui transforment nécessairement le paysage londonien. En 2007, la ville abandonne le Regional Planning Guidance 3a, jugé trop restrictif, pour le London View Management Framework (LVMF), qui a notamment pour ambition de réduire le nombre d’enquêtes publiques demandées avant la construction des bâtiments et ainsi de faciliter la construction d’immeubles élevés. La municipalité considérait en effet que les règles du Regional Planning Guidance 3a ne permettaient pas à Londres de rivaliser avec d’autres métropoles mondiales, notamment dans la construction de gratte-ciel, nuisant ainsi à son développement économique. Quant à la réglementation LVMF, elle protège particulièrement quatre grands monuments (La tour de Londres, le Parlement, la cathédrale Saint-Paul et Buckingham Palace) et notamment les couloirs de vue. Les Londoniens ne protègent pas un bâtiment et son contexte, mais plutôt le fait qu’il soit visible depuis certains sites stratégiques. D’importantes tensions se manifestent à chaque projet, entre les défenseurs du patrimoine et les tenants de la modernisation.

À Rome, une modernisation plus contrainte

En Italie, la préservation est inscrite dans la Constitution et pilotée par le ministère de la Culture et la Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Roma  (Surintendance spéciale pour les biens archéologiques de Rome). « Le dispositif de protection y est beaucoup plus contraignant autour des monuments, il intègre l’échelle urbaine de manière beaucoup plus stricte ». La hauteur des constructions dans l’hypercentre est très encadrée, dans certaines zones, les nouvelles constructions sont interdites ou doivent respecter des critères très stricts en termes de matériaux et de conception pour préserver le paysage urbain. Les monuments historiques doivent être pris en considération dans tout projet alentour et les bâtiments anciens doivent être intégrés dans toute construction moderne. Une contrainte d’où peut émerger une grande créativité : la chercheuse note certaines tentatives intéressantes qui font dialoguer l’ancien et le contemporain, comme le musée d’art contemporain de Rome, MACRo, construit sur le site d’une ancienne usine de bière dont l’agrandissement est signé par l’architecte Odile Decq. Elle cite également la Fondation Maxxi, dessinée par Zaha Hadid, à partir d’anciens bâtiments militaires.

Et si la notion de patrimoine était évolutive ?

Aujourd’hui, certaines voix se font entendre à Rome pour dénoncer le fait que l’architecture du XXème siècle soit moins bien protégée que les bâtiments plus anciens. Dans le cadre d’une recommandation de 2011 sur le paysage historique, l’UNESCO appelle aussi à développer une approche différente de la notion de patrimoine, en y intégrant des caractéristiques intangibles comme les modes de vie ou d’échanges. Cette recommandation fait évoluer la notion de préservation de l’environnement en préconisant une gestion dynamique, en accord avec les besoins de la population, par opposition à une vision figée du paysage urbain. Une façon de lutter contre la muséification des villes.