Madrid et Berlin

Trajectoires urbaines

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De Paris à Milan, en passant par Berlin, Lyon, Barcelone ou encore Düsseldorf, Covivio est présent depuis 20 ans au cœur des principales métropoles européennes. Quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs points communs ? A quels enjeux devront-elles faire face dans les prochaines années ? Quelles sont leurs trajectoires urbaines ? Nous vous proposons, à travers une série de portraits croisés urbains, de partir à la découverte de ces villes dont Covivio et l’Europe constituent les dénominateurs communs..

Madrid, Berlin et les espaces verts : deux saules, deux ambiances  

Madrid et Berlin sont deux capitales européennes qui ont fait du XXIème siècle celui de leur reconstruction. Marquées par des décennies de conflits, elles ont basé une partie de leur régénération autour des espaces verts. Mais les ressemblances s’arrêtent là, car les deux métropoles ont opté pour des approches bien différentes en matière de nature en ville. Deux visions intimement liées à leur identité.

Et la nature fut…  

Qu’on le voit à moitié plein ou à moitié vide, le vert en ville n’a rien d’original : Stanley (Vancouver), Central (New York), Hyde (Londres, Sydney), Boulogne ou Vincennes, de la forêt urbaine au parc manucuré, la green zone est une composante obligatoire de la ville moderne, au même titre que la gentrification et le ronronnement des taxis. Alors que Madrid a son Retiro et sa Casa de Campo, et Berlin a son Tiergarten et sa Grunewald, les deux villes se classent aujourd’hui modestement au palmarès du « vert par habitant » de l’OCDE : 171 m² pour Madrid, 906 m² pour Berlin, soit dans la fourchette des grandes dames européennes. 

Mais ce vert est avant tout une question d’héritage. À Berlin comme à Madrid, les poches de verdure ont longtemps été préférées aux grands espaces : les jardins ouvriers sont vus au XIXe siècle comme une réponse à la paupérisation de la population berlinoise, constituant encore aujourd’hui un réseau de 833 micro-espaces publics. Madrid quant à elle est le mélange à la fois d’un passé médiéval ayant favorisé les placettes et l’échelle du quartier, de l’école Le Corbusier et sa séparation en usages, et de la cité linéaire d’Arturo Soria, chacun ayant laissé sa marque dans le rapport au vert. 

La fin du XXème siècle va marquer un tournant pour les deux capitales : Madrid retrouve le chemin du dynamisme économique au sortir de la chute du régime franquiste au début des années 80, quand Berlin retrouve sa moitié à la réunification dix ans plus tard et doit se réinventer une identité. Deux histoires, deux destins. 

Le vert à la madrilène  

« Madrid a toujours été une ville verte », affirme Flavio Tejada, directeur du collectif Arup1. « Mais ces vingt dernières années, on assiste à un vrai retour des caractéristiques de la ville du XIXème : marchable, pensée pour les humains, avec une mixité des usages et un investissement dans les transports en commun. Ce retour idéologique se traduit par de grands projets comme Madrid Río ou Madrid Nuevo Norte, qui transforment la ville en adoptant la durabilité comme principe de design. » 

Pour le lecteur non averti, Madrid Río est un projet de parc urbain initié par la municipalité en 2005 pour rendre les berges de la Manzanares aux madrilènes. Une autoroute enterrée et des abattoirs réhabilités plus tard et voici 23 hectares de respiration offerts aux joggers, cyclistes, contemplateurs, amateurs d’art ou flâneurs en famille. Outre l’espace libéré, Madrid Río a fourni à la ville le parfait échauffement pour s’attaquer à des chantiers colossaux, en pleine ville, en s’attachant l’assentiment de sa population (et les prix internationaux, ce qui fait toujours plaisir). « Madrid n’a pas peur des grands projets », poursuit Flavio Tejada, « il y a un consensus politique et citoyen autour de l’idée que les espaces verts doivent être structurants pour l’évolution de la ville. Tout le monde s’accorde à valider leur utilité en termes de qualité de vie et de lutte contre le changement climatique. Les tractations tournent plutôt autour de l’intensité et de l’ampleur à donner à ces transformations. » 

Et d’ampleur il va encore être question pour au moins vingt ans : après presque trente ans de faux départs, la capitale espagnole vient de donner le coup d’envoi de Madrid Nuevo Norte, un gigantesque projet de rénovation urbaine portant sur 230 hectares, l’un des plus conséquents en Europe. Le cœur de ce mastodonte ? Pas un parc, mais un poumon vert, artères comprises, qui entend redéfinir la place du vert en ville tout en capitalisant sur une identité typiquement madrilène. Les chiffres donnent le vertige : 20 hectares de voies ferrées à recouvrir pour accueillir un parc de 13 hectares et 3km d’artères vertes, 10 500 logements et autant de surface de bureaux, trois stations de métro et une de train de banlieue, et en point d’orgue, la plus grande tour d’Espagne, avec 300 m de hauteur. 

Ce qui en fait un projet purement madrilène, c’est l’approche qui a été choisie pour définir ces espaces. Madrid est une ville vibrante, une ville de quartiers, où les gens se croisent, s’arrêtent, se parlent. C’est une ville de mixités.


Flavio TejadaDiIRECTEUR CHEZ Arup

« Il fallait reproduire cet état d’esprit. Le projet a été travaillé directement avec les madrilènes, en engageant le débat dès le départ. Il n’y aura pas de centre commercial par exemple, ce n’est pas Madrid, mais à la place des petits commerces en rez-de-chaussée. La place de la voiture a été drastiquement réduite et l’on retrouve les principes de design du XIXème avec des immeubles directement sur les parcs, sans séparation par une route. Madrid est une ville avec une granularité des espaces particulière, de petites unités à échelle humaine où les communautés se font et se croisent. Le parc doit être un lieu de vie, pas une pause dans la ville. C’est tout le but des artères : faire des espaces verts non pas une rupture mais une diffusion dans la ville. »

D’autant que Madrid Nuevo Norte doit jouer le rôle de corridor, à la fois écologique et de services : le district reliera la forêt d’El Pardo, à la lisière de la capitale, au Paseo de la Castellana, la principale artère de la ville, et son infrastructure apportera 80% de l’eau potable. Ce no man’s land ferroviaire, longtemps vu comme une verrue dont on ne pouvait rien faire, va donc devenir d’ici 2045 un nouveau centre névralgique. « C’est l’antithèse des business district, ces non-espaces que personne n’habite et qui sont mono-usage », poursuit Flavio Tejada. « Madrid Nuevo Norte a été dès le départ conçu comme une rencontre. C’est d’ailleurs l’un des premiers projets portés par une pluralité de parties prenantes et un partenariat public-privé qui fera date. C’est un nouveau modèle de contrat social, où les communautés sont non seulement le focus mais aussi les acteurs du développement urbain. »

Berlin ou l’art du laisser-faire

Si Madrid a décidé de prendre les choses en main, Berlin a choisi l’exact opposé. Ne rien faire, c’est vraiment la philosophie berlinoise vis-à-vis des espaces verts. L’idée générale est moins anthropocentrée et plutôt orientée autour de la biodiversité : en laissant faire on permet la régénération, un phénomène bénéfique pour tous.

Moritz Maria Karl
Urbaniste et Fondateur d’Office MMK

Cela ne veut pas dire que Berlin est une friche géante ! Mais l’approche est très différente de Madrid : « la ville a une culture forte des initiatives citoyennes et une méfiance à l’égard des idéologies politiques ou des grands plans », explique Moritz Maria Karl. « L’histoire du XXème siècle nous a vacciné contre les grandes idées qui viennent d’en haut. Le mouvement vient donc d’en bas, avec des micro-projets de régénération et une opposition forte à toute forme de développement. Chacun se saisit du sujet à son échelle. Le Berlin moderne est une ville qui se caractérise par la cohabitation de groupes d’intérêts. Rien ne peut être entrepris sans l’implication citoyenne. » 

Et ces initiatives sont aussi nombreuses que structurantes : Tempelhofer Feld est le symbole de ce jeu d’équilibriste entre groupes d’intérêts, et une preuve de la puissance citoyenne. Ce qui est aujourd’hui le plus grand parc de Berlin était jusqu’en 2010 un aéroport. À sa fermeture, l’espace est rendu aux berlinois qui, depuis, le défendent ardemment contre toute tentative de développement. En 2014, un référendum a définitivement enterré tout projet de construction. Les anciennes pistes d’atterrissage resteront le terrain de jeu des kite-surfers et les abords du tarmac ont leur avenir tout tracé en tant que potagers communautaires. 

Mais sous ses apparences libertaires, Berlin ne s’est pas vraiment laissée aller en termes d’espaces verts. À la réunification, la ville se dote d’un plan et d’un département dédiés aux paysages et espaces publics. La priorité est à la conservation et la compensation. Une première « couronne verte » est dessinée autour du centre : elle joint les parcs existants, les jardins ouvriers et les cimetières (oui, ce sont des espaces verts dans l’approche berlinoise). La récupération des anciens no man’s land fournit à la ville l’occasion de muscler son score vert. C’est ainsi que naissent par exemple le Mauerpark, en lieu et place du passage de l’ancien mur de séparation, ou le Natur-Park Südgelände où la nature reprend ses droits sur des voies désaffectées depuis 1999. 

La ville travaille ses connexions et corridors pour relier ses espaces verts, notamment par l’aménagement des berges, des canaux ou des abords des voies de circulation. Dans les années 2000, le développement urbain est inéluctable et les nouveaux espaces verts que l’on voit apparaître font office de compensation : le parc de Gleisdreieck, développé à partir de 2008, est par exemple la réponse à la construction de la Potsdamer Platz. Dans les années 2010, la montée en puissance des mouvements et initiatives citoyennes orientent les choix de planification et font aujourd’hui de Berlin une ville dont l’avenir s’écrit à plusieurs millions de mains. 

Que l’on soit top-down comme à Madrid, ou bottom-up comme à Berlin, l’espace vert est plus que jamais au cœur de la relation entre la ville et ses habitants. Pas étonnant quand ces espaces se retrouvent à la croisée d’enjeux déterminants pour la vivabilité des villes face au changement climatique. Mais au-delà des questions environnementales et de l’évolution des priorités, les espaces verts sont surtout redevenus le reflet de l’identité des villes qui les cultivent.