« La Low Carbon Building Initiative a pour objectif d’inciter les acteurs de l’immobilier à accélérer la décarbonation du secteur »

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Parmi les principaux émetteurs de CO2, le secteur immobilier est aussi un acteur clé de la lutte contre le réchauffement climatique. En Europe, l’association BBCA a regroupé des acteurs majeurs de l’immobilier pour créer la Low Carbon Building Initiative (LCBI), et ainsi établir la première méthodologie européenne harmonisée de mesure de l’empreinte carbone des bâtiments, sur tout leur cycle de vie. Une méthode qui permet aujourd’hui la certification des bâtiments neufs dans 8 pays d’Europe. Présentation d’une initiative unique par Cécile Dap, directrice de LCBI.

Pourquoi LCBI a-t-elle été créée ? À quels besoins répond-elle ?

Cécile Dap : Pour parler de LCBI, il faut d’abord présenter BBCA, association française qui travaille depuis plus de 10 ans sur les enjeux de décarbonation de l’immobilier dans l’hexagone. LCBI, qui signifie Low Carbon Building Initiative, est un programme initié par l’association BBCA qui a pour objectif d’inciter les acteurs européens de l’immobilier à accélérer la décarbonation du secteur.

Partant du constat qu’en Europe, l’immobilier représente près de 40% des émissions de CO2, un certain nombre d’acteurs – foncières, investisseurs, promoteurs, etc. et notamment membres de l’association BBCA – ont exprimé deux besoins principaux :

  • Le premier concerne l’harmonisation de la méthode de mesure du carbone sur tout le cycle de vie du bâtiment. Dans un contexte où les pays européens ont tous des manières différentes de mesurer l’empreinte carbone, les acteurs de l’immobilier souhaitaient pouvoir s’appuyer sur une méthode commune permettant de mesurer, de fixer des seuils alignés sur ceux des accords de Paris, et donc de limiter l’empreinte carbone de leur patrimoine européen. Cette méthode permet aussi de comparer les actifs en se basant sur des critères partagés et des données fiables, ce qui constitue une source d’informations précieuse, notamment pour les investisseurs.
  • Le second besoin concerne les labels. Les labels les plus répandus dans l’immobilier sont multicritères et valorisent insuffisamment les efforts de décarbonation sur tout le cycle de vie d’un bâtiment. Parce qu’ils ne proposent pas de seuil de performance, ces labels vont inciter à mesurer l’empreinte carbone mais pas nécessairement à la réduire. Le label que nous souhaitions créer se devait d’être une preuve de décarbonation alignée avec les trajectoires 1,5° et bien sûr, toujours au niveau européen.

Comment fonctionne la « méthode LCBI » ?

Cécile Dap : La méthodologie déployée par LCBI propose de mesurer l’empreinte carbone, sur tout le cycle de vie, des bâtiments neufs – bureaux, logements ou hôtels – via 3 critères :

  • La mesure du carbone embarqué, lié à la construction et aux matériaux
  • La mesure du carbone opérationnel, lié à la gestion quotidienne du bâtiment
  • La mesure du carbone biogénique, lié au stockage du carbone dans différents matériaux biosourcés

Nous avons créé, avec la Commission Technique mise en place pour ce projet, une matrice qui permet d’un côté de mesurer la performance carbone, c’est-à-dire les émissions de CO2, et d’y associer la complétude de la mesure carbone, soit le degré de précision de la mesure. Valoriser la précision de la mesure, c’est aussi ce qui va permettre d’encourager les acteurs à aller plus loin.

La combinaison de ces mesures va nous permettre d’arriver à 3 niveaux de labels : standard, performance et excellent. Un bâtiment « Standard » correspond environ au top 50% des bâtiments en termes d’empreinte carbone, tandis qu’un bâtiment « Excellent » appartient au top 25%, avec une empreinte carbone alignée 1,5°.

LCBI est garante de la méthode et de sa diffusion auprès des différents acteurs du secteur immobilier. Quant au process de certification, il passe par un certificateur, qui est aujourd’hui Bureau Veritas.

Comment avez-vous réussi à construire une méthode commune et à un niveau européen ?

Cécile Dap : Cette méthodologie, nous avons mis 2 ans à la construire.
Après une phase de comparaison et d’étude des réglementations de différents pays, nous avons mis les acteurs autour de la table – investisseurs, promoteurs, foncières, etc. – afin qu’ils expriment leurs besoins et puissent échanger avec la Commission Technique, responsable de la définition de la méthodologie.

Les équipes qui travaillent au quotidien dans la construction de bâtiments ont pu tester la méthode et faire des retours sur ce qui fonctionnait ou ne fonctionnait pas, et cela dans 8 pays européens différents. Les équipes de Covivio ont notamment testé la méthode sur 3 actifs en France, en Italie et en Allemagne.

Cette phase a été la plus complexe dans la construction de la méthodologie : rassembler tous les retours et réussir à en faire une synthèse qui convienne à tout le monde. Mais c’est en même temps ce qui nous différencie vraiment, car la méthode a été testée et révisée sur la base de retours des acteurs du terrain.

Lorsque nous avons réfléchi à cette méthode et ce label européen, nous avions aussi en tête de penser quelque chose en lien avec les réglementations existantes afin d’aider les acteurs à répondre à ces directives, tout en allant plus loin. LCBI est donc notamment compatible avec le standard européen Level(s), qui constitue lui-même la base de la taxonomie européenne.

Quelle différence alors entre LCBI et la taxonomie européenne ?

Cécile Dap : Avec la taxonomie européenne, les acteurs ont une obligation de mesure de l’empreinte carbone sur le cycle de vie du bâtiment – pour que l’activité soit considérée comme « durable » -, mais à ce jour sans obligation de respect des seuils de performance. Toutefois, la taxonomie n’est pas la seule règlementation européenne impactant le secteur immobilier.

L’EPBD (Energy Performance of Buildings Directive), directive mise en application cet été, vise à obtenir un parc immobilier entièrement décarboné d’ici à 2050. Comment ? Notamment en obligeant à mesurer l’empreinte carbone de tous les bâtiments neufs, et ce à partir de 2028. Les Etats membres devront également, à partir de 2027, imposer des seuils de performance sur l’empreinte carbone des bâtiments.

Ces réglementations vont donc permettre d’accélérer la décarbonation du secteur immobilier.

Dans ce cadre, le rôle d’un label comme LCBI est double : d’une part, éduquer les acteurs de l’immobilier à la comptabilité carbone sur tout le cycle de vie, les préparer avant l’implémentation de ces règlementations. D’autre part, le rôle d’un label est d’aller toujours plus loin que les règlementations : ainsi, alors que l’EPBD impose la mesure carbone pour tous les bâtiments neufs, LCBI ira plus loin en adressant demain également les rénovations, ainsi que d’autres classes d’actifs.

2 ans après le lancement de la LCBI, quel premier bilan pouvez-vous tirer ?

Cécile Dap : Un bilan très positif, en premier lieu parce que nous avons réussi à créer cette méthode et ce label ! Et parce que nos travaux sont reconnus, autant par nos pairs européens, experts de la mesure carbone, que par les acteurs du secteur, ainsi que les institutions publiques ou financières. Ainsi, un récent rapport mandaté par un groupe d’acteurs majeurs de la finance, dont BlackRock, a identifié LCBI comme le seul standard européen permettant de répondre au besoin de décarbonation des actifs et aligné avec les Accords de Paris.[1]

Le label est disponible depuis février 2024, et nous avons déjà des dizaines de dossiers en cours pour des labellisations de bâtiments dans différents pays, comme l’Italie, le Luxembourg, et la France. Les premiers labelisés seront présentés lors du prochain SIBCA, le 7 octobre à Paris.

Quelle actualité pour la LCBI dans les prochains mois, voire années ?

Cécile Dap : À ce jour, notre label s’adresse aux bâtiments neufs, dans les catégories bureaux, logements ou hôtels. Nous avons pour ambition d’élargir les différentes classes d’actifs que l’on adresse.

Dans un contexte où les constructions neuves se font plus rares, et où la décarbonation ne peut pas se faire sans rénovation, nous allons bien sûr travailler sur un label “Retrofit”.

Enfin, notre label étant accessible aujourd’hui uniquement dans 8 pays européens, l’objectif est de l’étendre à d’autres pays à l’avenir.


La Low Carbon Building Initiative en bref

Lancée au MIPIM en 2022, la Low Carbon Building Initiative (LCBI) réunit des acteurs majeurs de l’immobilier européen afin de promouvoir les bâtiments bas carbone et réduire les émissions de CO2 du secteur de moitié, en se basant sur l’Analyse du Cycle de Vie. Après un an de travail collaboratif et d’analyse de données comparatives entre experts et maîtres d’ouvrage, LCBI a lancé la méthode le 25 janvier 2024 ainsi que le label associé, et ceci dans 8 pays – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, et Royaume-Uni. Cette méthode est compatible avec les principaux outils et normes existants (Taxonomie, Level(s), CRREM, RICS). Disponible publiquement sur le site web de LCBI, cette méthode européenne simplifie la comparaison des empreintes carbone à travers l’Europe. Elle adresse d’abord les bâtiments neufs des catégories bureaux, résidentiels et hôtels. Son objectif est d’englober à terme tous les bâtiments neufs, rénovés et existants.


[1] Seeing is Believing: Unlocking the Low-Carbon Real Estate Market, LOTUF