Venise et Amsterdam au défi de l’eau

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De Paris à Milan, en passant par Berlin, Lyon, Barcelone ou encore Düsseldorf, Covivio est présent depuis 20 ans au cœur des principales métropoles européennes. Quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs points communs ? A quels enjeux devront-elles faire face dans les prochaines années ? Quelles sont leurs trajectoires urbaines ? Nous vous proposons, à travers une série de portraits croisés urbains, de partir à la découverte de ces villes dont Covivio et l’Europe constituent les dénominateurs communs.

On dit d’Amsterdam qu’elle est la Venise du nord, pour son vaste réseau de canaux dont les trois plus grands, Herengracht, Prinsengracht, et Keizersgracht, sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, tout comme l’exceptionnelle cité des Doges. Aujourd’hui, les deux villes, qui ne sont pas baignées par la même mer, connaissent toutefois des défis similaires alors que le réchauffement climatique devrait élever le niveau des eaux d’environ 1 mètre, mettant en péril leur existence même. Les deux villes n’avaient pourtant pas grand chose de commun au départ.

Des canaux, pour quoi faire ?

Pourquoi bâtit-on une ville sur la mer ? Pour se protéger, s’isoler, faire de l’eau un rempart ? Ou bien pour favoriser les échanges commerciaux par bateaux ? Deux stratégies opposées illustrées par Venise, pour la première, et par Amsterdam pour la seconde.

Venise est née au Vème siècle. Ses habitants se sont installés dans la lagune sur de petites îles au sol sableux et argileux pour se protéger des invasions des Huns, des Goths et des Lombards. La vocation de cette cité était d’offrir à ses habitants un havre protecteur très difficile d’accès. Ils conquièrent petit à petit les îlots en plantant des millions de pieux de bois sur lesquels reposent des blocs de pierre qui soutiennent les soubassements de leurs habitations. Ils creusent des canaux qu’il faut régulièrement draguer pour éviter l’envasement. Cet héritage perdure puisqu’un seul pont, le pont de la Liberté, relie la cité au continent et à l’aéroport aujourd’hui.

Au contraire, le plan d’Amsterdam est étroitement connecté à tous les réseaux de transport de la région et du pays. Il faut dire qu’à la construction de ses canaux au XVIIème siècle, l’âge d’or néerlandais, la capitale des Pays-Bas était un carrefour commercial essentiel qui communiquait avec toutes les régions d’Europe et du monde, par la mer ou par les fleuves, et notamment le Rhin. Le plan concentrique des canaux et les façades étroites des bâtiments, facilitent l’accès au réseau à tous les commerçants et rapprochent les entrepôts des marchands. Le port se situe au cœur du plan de la ville et demeure l’un des plus importants d’Europe jusqu’à l’essor de Rotterdam à la fin du XIXème siècle.

Un étalement urbain contraint

Cette implantation conquise sur l’eau contraint forcément le déploiement des deux villes, mais le phénomène est particulièrement criant à Venise, dont la forme a très peu évolué depuis la Renaissance. Les principales évolutions ont été conquises sur la mer, comme l’Isola del Tronchetto dans les années 1960, ou bien ont consisté en des aménagements portuaires ou industriels, notamment à Porto Marghera, du côté du continent, qui accueille les activités industrielles de la ville et instaure une véritable séparation des activités. La zone est reliée à Venise en 1933 par le pont de la Liberté. Venise pourrait-elle pourtant être un modèle d’avenir ? C’est ce que pensent certains architectes comme Jan Gehl. Avec sa circulation accessible facilement aux piétons, Venise serait un exemple de la ville à taille humaine qu’il préconise.

Amsterdam de son côté a pu se développer vers son arrière-pays, notamment vers le sud avec la construction d’un vaste quartier d’affaires, Zuidas, où se sont aussi implantés de nombreux logements haut de gamme. Amsterdam a tout d’une métropole européenne dynamique reposant sur une grande diversité d’activités : tourisme, échanges internationaux, hub financier…

Venise face à la submersion touristique

Avec plus de 25 millions de touristes par an, plus de 120 000 personnes par jour en été, Venise est quant à elle confrontée de plein fouet aux conséquences du sur-tourisme. Un tourisme qui fait fuir les habitants, repoussés par la hausse des prix de l’immobilier et le manque d’opportunités professionnelles. Ils étaient plus de 175 000 au XIXe siècle, désormais moins de 50 000. Les déplacements en bateaux bondés sont parfois compliqués, la pollution et la gestion des déchets et les commerces du quotidien cèdent la place aux boutiques de souvenirs. La ville met en place de nombreuses mesures pour lutter contre la submersion avec notamment l’instauration, en 2024, d’une inscription pour pouvoir pénétrer dans la ville. Certains jours, le nombre d’entrées est même limité et payant. Les plus gros bateaux de tourisme n’ont plus accès aux zones les plus fragiles de la lagune depuis 2021, après que l’UNESCO ait manifesté sa préoccupation quant à la préservation du patrimoine de la cité.

Cette mono-économie fait l’objet de nombreuses critiques : “ce qu’il y a lieu de préserver, c’est la vie des villes. Le patrimoine historique et culturel d’une ville doit s’entendre comme un bien commun dont le bénéfice tiré devrait d’abord être garanti à ses habitants, qui doivent pouvoir continuer de vivre sur place,” expliquait Giacomo-Maria Salerno, auteur de Pour une critique de l’économie du tourisme au média Café Babel.

Deux villes face à la montée des eaux

La lagune est aussi confrontée à une menace d’ordre naturel : la montée des eaux, liée au réchauffement climatique. En 2019, la ville a connu un épisode d’acqua alta (marée haute) exceptionnel d’1,83 m, qui a engendré de nombreux dégâts. Depuis 2020, les digues MOSE ont permis d’éviter de nouveaux phénomènes exceptionnels. Situées aux trois grandes entrées de la lagune, elles bloquent la montée des eaux quand elle dépasse 1,10 mètre et jusqu’à 3 mètres. Cependant, ce système a aussi des inconvénients : il ne permet pas la circulation des bateaux et ne peut donc pas être activé en permanence. Il répond encore moins aux risques d’affaissement des sols des îles de la ville qui a perdu 25 cm en hauteur depuis le début du XXe siècle. Il s’agit donc nécessairement d’une solution temporaire et les décennies à venir seront cruciales.

Les Néerlandais, eux, sont mondialement reconnus pour leur gestion des eaux depuis des siècles, le pays s’étant construit en partie en conquérant des terres sur les mers. Depuis de terribles inondations en 1953, le plan Delta protège les habitants et les territoires de la montée des eaux, grâce à un formidable système de digues, barrages et écluses. La ville innove pour mieux permettre aux eaux de pluies de s’infiltrer et fait évoluer ses systèmes de pompage des eaux de pluie vers la mer ou bâtit des quartiers entièrement flottants comme Schoonschip. Les experts louent cette grande capacité d’invention d’Amsterdam, comme Ariella Masboungi qui y a consacré un ouvrage, Le génie d’Amsterdam : Opportunité, agilité, inventivité (Parenthèses, 2016). Elle vante notamment la propension de la ville à intégrer les habitants aux décisions urbanistiques dans un véritable processus démocratique, qui mêle tous les acteurs dans les débats autour de la ville de demain.

Vivre sur l’eau : une idée de la ville de demain ?

Pour l’architecte néerlandais Koel Olthuis, construire sur l’eau pourrait répondre à de nombreux enjeux urbains. Son agence, Waterstudio, est spécialisée dans les constructions flottantes. Pour lui, ce mode de construction est une manière d’ « élargir le tissu urbain » et de produire une ville plus résiliente au changement climatique. Il imagine par exemple une agglomération dont les éléments flottants seraient mobiles pour faire évoluer la ville au gré de ses besoins. Venise ou Amsterdam pourraient-elles faire de leur contrainte majeure un atout décisif ?