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Il suffit de 35 minutes depuis la gare TGV de Lille-Europe pour rejoindre la capitale belge, au point que plusieurs centaines de “navetteurs” l’empruntent quotidiennement pour se rendre à leur travail, dans un sens ou dans l’autre. Mais ces deux villes fondamentalement européennes partagent bien plus qu’une proximité géographique. La convergence de leurs enjeux est telle qu’un accord de coopération existe depuis 1996 entre la région Bruxelles-Capitale et la métropole européenne de Lille. Pour autant, chacune a su développer et réinventer une identité propre.
Les deux agglomérations sont marquées dans leur tissu urbain par leur glorieux passé industriel. L’une, Lille, est implantée au cœur d’une région minière dont l’activité a commencé à décliner dès les années 1960. La région et sa capitale ont longtemps souffert d’une image sombre, marquée par les terrils abandonnés et les fermetures de sites. La ville et son agglomération sont elles-mêmes bâties autour du savoir-faire drapier, qui fit la prospérité de la ville et attira des travailleurs transfrontaliers venus entre autres de Belgique, déjà. De l’autre côté de la frontière, Bruxelles a bâti son tissu urbain autour de ses activités de production qui ont fait d’elle une puissance industrielle de premier plan, jusqu’au milieu du XXème siècle. Les villes sœurs ont toutes deux su se relever de la désindustrialisation et opérer un changement d’image radical, en suivant des stratégies divergentes.
La capitale régionale mène dès les années 1960 une transition volontariste pour jouer un rôle culturel de premier plan qui aboutit en 2004, année au cours de laquelle elle est consacrée Capitale européenne de la culture. Français et européens découvrent alors ébahis l’immense résilience de la ville et de ses habitants, qui brillent par le foisonnement de leurs projets et manifestations au cours de cette année exceptionnelle. Une belle revanche pour la capitale des Flandres, qui avait manqué de remporter l’organisation des jeux olympiques de 2004. Le projet permet de réhabiliter de nombreux lieux tels que le Tri postal, ancien centre de tri désaffecté, ou l’église Sainte-Marie Madeleine. La culture et la fête irriguent tous les quartiers de l’agglomération : la Grand’place, le parvis de la gare de Lille-Europe où les Tulipes de Shangri’La saluent encore les visiteurs. Mais elle fait aussi briller le nouveau quartier d’Euralille où s’est implanté le 2004, le plus grand site de ces célébrations. La dynamique ne s’est pas essoufflée, portée par le projet Lille 3000 qui, tous les trois ans, propose une programmation culturelle exceptionnelle.
Lille profite également de son positionnement au cœur de l’Europe, favorisé par le passage du TGV dès 1994, pour faire d’Euralille le 3ème quartier d’affaires français. Christian de Portzamparc, mais aussi Jean Nouvel ou Claude Vasconi ont contribué à faire sortir de terre ce pôle d’activité majeur, imaginé par Rem Khoolas, architecte et urbaniste néerlandais. La métropole achève de quitter le XXème siècle sans renier son passé en inaugurant en 2008 ce qui est devenu le plus vieil incubateur européen, EuraTechnologie, 150 000 m² de bureaux installés dans l’ancien siège de La Redoute, à Roubaix. Des centaines de start-up ont remplacé les employés et les chaînes d’emballage des commandes. La réhabilitation de ce quartier de la Blanchemaille se poursuit puisqu’en 2026 il devrait accueillir un vaste site dédié au e-commerce. Le chantier bat son plein avec pour mots d’ordre circularité et réemploi.
À Bruxelles, la désindustrialisation est concomitante à l’implantation progressive des institutions européennes, qui conquièrent progressivement le quartier Léopold, tout près du centre historique de la capitale. Cette implantation se fait d’abord discrète, au sein d’immeubles de bureaux puis du bâtiment Charlemagne, avant de se doter de bâtiments devenus emblématiques. Le siège de la Commission européenne, le Berlaymont, en 1976, puis le siège du Parlement européen en 1993, au-dessus du parc Léopold. C’est cette même année que Bruxelles devient officiellement la capitale des institutions européennes. Les habitants quittent progressivement ce quartier devenu hyper-spécialisé, qui attire à Bruxelles une population de travailleurs ultra-qualifiés, les « Bruxpats ». Aujourd’hui, plus de 40 000 fonctionnaires européens travaillent à Bruxelles, et auxquels s’ajoutent environ 50 000 lobbyistes.
Cette attractivité renforcée par les institutions européennes nourrit le cosmopolitisme bruxellois, qui compte près de 180 nationalités et dont presque 37 % des habitants sont étrangers. Une population qui s’ajoute aux nombreux touristes d’affaires ou de loisir (presque 10 millions de nuitées en 2023), qui viennent arpenter la célèbre Grand-Place, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cependant, cette arrivée d’une population très qualifiée et aisée dans le centre-ville ou le quartier européen a aussi contribué à tendre le marché de l’immobilier et à renforcer une ségrégation résidentielle pré-existante entre la ville européenne et ses alentours. Les populations les moins aisées se concentrent dans certaines communes périphériques, où des quartiers cumulent jusqu’à 30 % de chômage.
La région Bruxelles-capitale mène depuis quelques années une politique de ré-industrialisation et de réallocation d’espaces à des activités productives, afin de diversifier les opportunités d’emploi sur le territoire. C’est l’ambition menée par Citydev, ancienne Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale, qui se donne pour mission d’accompagner les entreprises qui la sollicitent à s’implanter sur le territoire de la région. Deux projets emblématiques sont en chantier : Bridge City et Lion City, deux quartiers en réhabilitation qui devraient intégrer des activités productives. Citydev mène également un vaste programme de développement de logements sociaux.
À Lille, la métropole lutte également contre la ségrégation résidentielle grâce à un intense travail de réhabilitation du bâti ancien au sein de ses QPV[1], mais aussi à des programmes sociaux, avec 6,8 millions d’euros injectés entre 2020 et 2023. Ces actions vont se poursuivre avec 2 millions d’euros alloués par an jusqu’en 2027.
Et demain ? En 2025 les Lillois donnent à nouveau rendez-vous à des millions de visiteurs pour célébrer la « Fiesta », thème choisi pour la nouvelle édition de Lille 3000, qui fait honneur au sens de la fête et à la résilience des habitants du Nord. En 2019, la programmation avait fait venir plus de 2 millions de visiteurs, un record à battre, qui a certainement participé à l’augmentation, entre 2018 et 2022, de plus de 30% du nombre de nuitées réservées à Lille[2]. À Bruxelles, on attend tout autant de visiteurs pour célébrer le centenaire du mouvement Art déco, qui fera briller ses joyaux comme la Villa Empain, la maison et les jardins Van Buuren ou le Wiels. Une programmation portée par Urban Brussels, l’administration qui se charge de la valorisation du patrimoine et de programmes urbains de la Région. « Urban souhaite plutôt aborder le sujet sous un angle critique, interrogeant le passé au regard de l’architecture actuelle », explique Sarah Lagrillière, Directrice générale adjointe d’Urban. Les deux agglomérations démontrent à nouveau qu’elles regardent avec fierté leur riche patrimoine, matériel et immatériel, pour se projeter dans l’avenir.
[1] QPV : Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville